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20 mars 2009 5 20 /03 /mars /2009 15:19

 

Il avait quitté son travail plus tôt que d'habitude. Une bonne douche, un costume propre, du parfum. Il se sentait comme le chevalier revêtant son armure, son casque et son épée. Il mettait toujours un costume-cravate pour cette occasion. Il y voyait beaucoup d'avantages. Cela donnait l'impression à ces dames qu'il sortait à peine du boulot, qu'il était un bourreau de travail, ce qui les sécurisait beaucoup (même si les femmes se plaignaient après du manque de disponibilité…). Visiblement, dans leurs gènes il restait toujours cette image rassurante du chasseur qui ramène le gibier pour nourrir la tribu. Et un chasseur, au fond, c'était bien ce qu'il était ce jour-là. Il avait essayé le blouson de cuir sur une tenue décontractée, mais ça ne faisait pas le même effet sur toutes. En plus, il ne mettait jamais le costume ordinaire du cadre, mais un costume chic au tissu soyeux et lustré, ce qui excitait leur convoitise : il voyait dans leurs yeux cette envie de caresser la manche comme un avant-goût de la peau. Bref, cela faisait cossu, rassurant, plein de promesses.
Il sourit devant son image dans la glace. L'adrénaline commençait à monter dans ses veines. Ce n'était pas vraiment du stress, juste l'excitation mêlée à l'appréhension, ce cocktail étrange qui rendait l'aventure toujours aussi désirable.

Il avait divorcé deux ans auparavant et avait conclu, sur le parvis même du tribunal, un pacte avec lui-même. Profiter de la vie, du célibat, ne plus connaître que le plaisir, la liberté, la réussite. D'aucuns l'auraient classé dans la catégorie du don Juan, ce type de séducteur qui ne vit que dans la chasse et non la consommation de sa proie. Il estimait qu'il n'avait pas toujours été comme ça et que les déceptions l'avaient conduit dans cette voie, cette circonstance atténuante le rendant hors classe à ses yeux. Il s'était rendu compte, alors qu'il était encore marié, de son pouvoir de séduction sur les stagiaires de sa boîte. Il n'en avait pas profité alors, mais avait rattrapé le temps perdu par la suite. Les liaisons d'entreprise n'étaient guère confortables ; il n'aimait pas se retrouver avec une sangsue sur le dos et s'assurait donc que son gibier ne fut là que de passage, sinon il restait fermé à toute proposition et ne tentait rien de son côté. Par contre, revoir en pensée la culbute de la veille sur le bureau du DRH avait quelque chose de très savoureux. 
Il avait fait ses premières armes au bureau, avait expérimenté les ruptures difficiles et affiné sa technique… et surtout changé de terrain de chasse. Son lieu de prédilection était Internet. Le virtuel était si volatile, c'était la culture du zapping, du court terme, du fantasme. Il devenait beaucoup plus facile de tourner la page et l'autre se faisait aussi moins d'illusions sur l'avenir. Certes, beaucoup de conquêtes croyaient au grand amour. Même si elles appliquaient la méthode Coué du « ça ne durera pas », souvent elles ne pouvaient s'empêcher de s'imaginer en robe blanche. Mais si Internet permettait d'endosser en deux clics le costume de Superman, il permettait aussi en deux clics de redevenir Clark Kent. Il s'était même surpris à faire durer des dragues virtuelles avant de passer à l'action, pour savourer plus encore le moment de la victoire.
Il avait eu quelques déceptions. Ces dames aussi pouvaient chausser les bottes à talon haut de Wonder Woman et s'avérer être des plus quelconques, une fois le diadème ôté. Mais avec l'expérience, il était devenu plus expert à reconnaître les Ugly Betty habiles.

Il fit le tour de sa garçonnière, s'assurant que tout était impeccable, bien qu'il ne s'attende pas à conclure ce soir – il n'était jamais bon de se précipiter – ou à venir chez lui, plutôt que chez sa proie. Simplement, il aimait un peu l'imprévu. 
Il avait décidé d'essayer une nouvelle approche. Il commençait à s'ennuyer dans sa routine informatique et avait tellement entendu parler du speed dating qu'il avait eu envie d'essayer, au moins une fois, pour voir si c'était des mères en puissance ou des femmes libérées qui recouraient à ce genre de rencontres. Histoire de se faire ses propres statistiques.
Il avait aspiré le cynisme comme une potion magique : devenu une seconde peau, le cynisme lui donnait un sentiment de toute puissance, une aura de dieu dans le miroir. Il n'avait même pas besoin de le cacher, les femmes en étaient folles. Il n'avait d'ailleurs jamais compris pourquoi tant d'entre elles s'amourachaient plus des voyous, des méchants, des méprisants et des égoïstes que des gentils garçons. Mais cela l'arrangeait bien, il ne laisserait plus jamais personne approcher son cœur. Non pas que certaines ne l'eussent pas ému à un moment donné (c'était d'ailleurs les seules dont il se souvint un peu), mais il ne quitterait pas la place du conquérant, à aucun prix. Et il n'avait pas à avoir de pitié pour une espèce qui l'avait fait souffrir.

Il ferma l'appartement et monta dans sa voiture. Il pensa de nouveau à l'image du chevalier. La monture était un élément essentiel au personnage dans la séduction de la châtelaine. Il n'avait pas opté pour un ramasse-poulettes, mais tout de même, un coupé sobre et élégant faisait toujours son petit effet, quoi qu'en disent les plus féministes. Il fallait qu'elles se sentent dans le carrosse avant minuit, au moins une fois, quand le vin du dîner avait mis le feu aux joues et anesthésié leurs appréhensions.
Une fois garé, il lissa sa veste et se dirigea vers le café. Son cœur se mit à battre plus vite, non à cause de la peur – il se sentait parfaitement bien dans son rôle – mais à cause de l'idée qu'il pourrait tomber sur une de ses anciennes conquêtes. Le moment gênant ne durerait que sept minutes, mais semblerait une éternité. Il ne craignait pas vraiment un esclandre, car il avait rodé ses techniques de « rupture-sparadrap », la rupture douloureuse mais rapide, qui laisse une plaie propre et vite refermée car déjà en voie de cicatrisation. Certaines étaient comme lui, d'autres mariées et tout ce cirque n'avait rapidement plus d'importance. Ce n'était pas non plus comme aller à une soirée où tout le monde se connaît. Les possibles proies de ce soir seraient de parfaites inconnues les unes pour les autres. 
La règle n°1 était de ne pas faire durer la relation plus de trois rencontres et même quelques week-ends de plaisir ne représentaient pas de quoi s'engager.

En entrant dans le café, il n'eut pas un regard pour les autres hommes. Son assurance excluait toute rivalité et de toute façon c'était lui qui choisirait, au final, la ou les femelles plutôt qu'elles ne le choisiraient. Ils étaient au bar à commander leur boisson et faisaient partie du décor. Il eut plutôt un regard circulaire, rapide et peu marqué, sur les femmes déjà arrivées et installées sur les banquettes, se tortillant sur leur siège, pleines d'espoir ou résistant à la pression de l'enjeu. Il ne voulait pas faire son choix tout de suite, c'était juste un réflexe. Il commanda nonchalamment un whisky. Les dernières arrivantes furent accueillies par l'hôtesse et s'assirent à leur tour. Cette dernière prit un micro, bien que le café ne fût pas plein, plus pour donner un côté un peu cérémonieux à l'affaire que pour se faire entendre. Elle expliqua le principe de la rencontre rapide et l'organisation de la soirée. L'impatience planait dans l'atmosphère. Les plus gênés avaient hâte d'en finir, les désespérés avaient hâte de trouver le grand amour, personne n'écoutait très attentivement l'oratrice.
L'hôtesse vint chercher chaque homme l'un après l'autre, leur accrocha au revers de veste ou sur la poche de chemise un petit carton avec un numéro et les installèrent chacun à une table en face d'une jeune femme. La conversation devait démarrer au son de la cloche et s'arrêter de même : c'était le preux chevalier qui changeait de table avec son verre en allant s'asseoir à la table suivante, sur sa droite. Pour détendre l'atmosphère, on avait pris soin de mettre une musique douce, mais la tension était tout de mettre palpable, comme à un départ de course. 

Il se retrouva devant une jeune femme d'une trentaine d'années, un peu enrobée, rougissante mais souriante. Dès le coup de cloche, il se détendit, pris au jeu. Elle était timide, parlait peu, il fit beaucoup les frais de la conversation. Peu importe. Il avait juste à exécuter sa performance d'acteur, à faire en sorte qu'elle le remarquât, qu'elle fût sous le charme. Au moment où la cloche sonna de nouveau, il n'était pas sûr de vouloir aller plus loin avec elle. Il s'était attaché à faire le lien entre son visage et le numéro épinglé près de son décolleté, mais il n'avait pas cerné sa personnalité et cela augurait de trop d'ennui. La deuxième candidate était tout à fait l'opposé. Expansive, extravertie, elle rit beaucoup, parla plus encore. Il hésita. Du second choix, peut-être, mais pourquoi pas ? Les entretiens s'enchaînaient, trop rapides à son goût parfois, quand d'autres étaient trop longs car décevants dès la première minute. Il était toutefois de plus en plus à l'aise. L'exercice l'amusait, sans le combler. Certaines savaient garder le secret et semblaient prometteuses. D'ordinaire, il n'aurait pas poussé plus avant, là il devrait prendre un risque sinon il finirait grosjean comme devant. Et il exclut totalement cette possibilité. Il lui fallait au moins rentrer avec un rendez-vous. Il devint pourtant de plus en plus difficile à mesure que la soirée s'avançait. Déjà, la joviale du début était passée aux oubliettes. À un moment donné, il avait eu du mal à faire la différence entre les différentes jeunes femmes, s'emmêlant dans les numéros. La sélection serait d'autant plus sévère. Il avait dû recommander un verre, il buvait trop pour se donner une contenance. Les demoiselles également, certaines étaient mêmes un peu grises. Un nouveau son de clochette et il dut de nouveau changer de siège. C'était l'avant-dernière, il le remarqua à peine. Il eut un tressaillement en dévisageant son interlocutrice. Elle se présenta et il fut certain alors de déjà la connaître, mais d'où ? Il eut une bouffée de chaleur : probablement une ex-conquête. Comment avait-t-il pu l'oublier à ce point ? Mais elle le rassura très vite sans le savoir, car elle le reconnut aussi mais sa mémoire était meilleure. Ils avaient été camarades de classe au lycée. Il lui trouva beaucoup plus d'assurance qu'autrefois. Elle avait l'œil qui pétille, le sourire plus facile. Ils évoquèrent quelques souvenirs communs, mais il fut avide d'en savoir plus sur sa vie actuelle. Elle avait de l'humour, elle ne parlait ni trop ni trop peu. Il s'étonna en lui-même de la trouver là. Était-elle une chasseresse à son image ? Quand la clochette retentit – bien trop vite – il sut qu'il n'y aurait qu'une seule élue ce soir-là, et il écouta à peine la dernière candidate. 

Il termina la rencontre express dans l'ivresse. Ce n'était pas l'alcool, ni l'excitation du jeu, c'était autre chose, une chose qu'il ne pouvait définir. Il essaya de se relaxer tandis que l'hôtesse reprenait son fameux micro. Elle demanda aux messieurs de se rassembler près de deux tables où officiaient des serveuses, qui notaient les commentaires de chacun sur les candidates et si les messieurs voulaient les revoir ou pas. Elle passa elle-même de table en table pour recueillir les opinions des dames. Il dut attendre que tous et toutes aient terminé et cela était insupportable. L'idée faisait peu à peu son chemin qu'elle n'aurait pas forcément envie de le revoir. Il comptait cependant sur la curiosité féminine : ils avaient été en classe ensemble, elle aurait envie d'en savoir plus. Il essaya de se remémorer comment s'était passé l'entretien. Il avait les mains un peu moites. Le jeu n'était pas très satisfaisant en fin de compte : le délai n'était pas ajustable à la personnalité de la candidate, il ne pouvait contrôler l'opération. C'était cette perte de contrôle qui le déstabilisait le plus. Il sortit de sa rêverie en entendant son numéro. L'hôtesse avait confronté les résultats et six candidates avaient demandé à le revoir, mais il n'en avait sélectionné que trois. Il aurait dû se sentir flatté de ce résultat, mais au fond il n'avait guère envie de voir les autres : il était focalisé sur le fait que l'objet de son désir l'avait sélectionné. Il prit néanmoins les numéros de téléphone, se disant qu'il n'aurait qu'à ne pas les appeler, mais l'hôtesse lui rappela qu'elle avait communiqué son numéro à ces trois candidates. Il la remercia avec force flatteries, une sorte de déformation professionnelle. Elle eut un rire de gorge et le salua pour passer à un autre. Il sortit du café et aspira une grande bouffée d'air. Il se rendit compte à la fraîcheur de celui-ci qu'il était en sueur. Tandis qu'il conduisait, il passa en revue la soirée, plutôt content de lui. Il avait décidé pendant l'attente au café de ne pas appeler tout de suite. Il allait faire preuve de respect avec elle… avec elles (il se devait de rencontrer aussi les autres, après tout il n'avait pas à être monogame dans l'affaire) et proposer une soirée très formelle.
Il dormit du sommeil du juste, sans vérifier ses mails avant de se coucher, pour une fois.

Le lendemain, il pensa à elle souvent. Il n'était pas très concentré sur son travail. Cela n'était pas inhabituel. Quand il avait sélectionné une femme particulièrement intéressante, il était focalisé sur ce qu'il allait faire pour l'approcher, pour l'appâter, pour retenir son attention. Quelque chose ne collait pas pourtant. Elle n'aurait pas dû être seule, elle était trop attirante, mais en même temps il ne la voyait pas comme une prédatrice, passant d'homme en homme. Elle avait quelque chose de « naturel », de si féminin, d'innocent, de… il ne savait comment définir son impression. Il était perplexe et ce mystère occupait son esprit. Le soir, il l'appela, mais tomba sur le répondeur. Il laissa un message, maintes et maintes fois répété, parfaitement suave et naturel. Mais elle ne rappela pas, ni ce soir-là, ni le jour suivant. Cela n'était pas prévu. Il l'avait charmé comme toutes les autres, ce n'était pas possible autrement. Comment aurait-elle changé d'avis ? Il se raisonna, se fit violence. C'était trop tôt, plein de circonstances pourraient expliquer son silence. Il reçut l'appel d'une autre candidate et accepta une rencontre, presque par frustration. Il raccrocha, s'étonnant de noter ce rendez-vous à contrecœur. Pour se punir, il appela la dernière et fixa également une rencontre.

Deux jours plus tard, il avait vu ces deux femmes et couché avec elles, mais c'était l'autre qui hantait son esprit. Il avait presque regretté de s'être « rabattu » sur le second choix. Il avait presque été dégoûté. Son envie était ailleurs. Il ne se reconnaissait pas. Il laissa un autre message, se promettant que ce serait le dernier, et il se gourmanda d'avoir eu une voix un peu chevrotante dans un discours qui devait normalement respirer l'aisance. Elle le rappela deux jours après, à l'heure du déjeuner. Il avait enregistré son numéro dans son portable et son cœur fit un bond en voyant son nom sur l'écran. Sa main tremblait-elle en décrochant ? Il n'aurait pu revendiquer l'inverse. Il se força à être froid, distant, le gars qui était déjà passé à autre chose. Au fond de lui, son orgueil était blessé. Il n'avait jamais connu l'échec, du moins plus depuis un an. Elle lui expliqua avec une voix enjouée qu'elle avait dû partir à l'étranger pour son travail et qu'elle n'avait pu l'appeler à cause du décalage horaire. Il se trouva tout penaud. Pourquoi n'avait-il pas réussi à envisager cette possibilité ? Pourquoi avoir d'emblée imaginé le pire, un rejet ? Il fit de son mieux pour la garder en ligne le plus longtemps possible. Elle dut refuser un rendez-vous le soir même. Il serra les dents. Ils convinrent de se retrouver dans un restaurant le surlendemain. Il réfréna son impatience. Qu'importait ? 

En fin de journée, il alla faire les boutiques, il voulait un costume neuf. Il ressentait le besoin d'inaugurer une nouvelle peau pour cette femme-là. Il eut beaucoup plus de mal à se décider, mais rentra avec des vêtements plus décontractés que son choix habituel. Il accepta un after work avec des amis. Il éprouvait le besoin de penser à autre chose, de retrouver le contrôle. Mais l'après-midi précédant le dîner, il était excité et anxieux comme si c'était le premier rencard de sa vie. Il se força à surfer sur le net à la recherche d'autres conquêtes. Bientôt, elle ne serait qu'un numéro, celui du speed dating, car il n'avait qu'une idée approximative de son tableau de chasse. Il rit à cette évocation. Il ne referait pas l'expérience de ce type de drague. C'était plus déstabilisant qu'autre chose. Et il risquait de revenir un jour bredouille.
Elle le rejoignit devant l'entrée du restaurant, parfaitement à l'heure. Elle avait une jupe de satin noir toute simple et un joli corsage brodé, de la même couleur, avec un rouge à lèvres assorti à un gilet rouge en angora. Il la trouva belle, la trentaine éclatante et épanouie. Ils furent conduits à une table près de la fenêtre, dans un box. L'intimité était quasi parfaite ; il se détendit. La conversation alla bon train tout de suite, sans être hésitante ou guindée. Il parla de lui, assez pour la rassurer, mais sans donner trop de détails. Il continuait à porter son masque. Et pourtant, la soirée avançant, il se surprit à laisser échapper des informations plus intimes et, surtout, pas fabriquées. Elle lui raconta qu'elle était enseignant-chercheur en psychiatrie, ce qui occasionnait ces voyages à l'étranger. C'est d'ailleurs ainsi qu'elle avait rencontré son mari, un Japonais, avec qui elle avait eu une petite fille, Naomi. Elle sortit la photo de son sac. Il s'attendrit : toutes les mères trouvaient le moyen d'évoquer leurs enfants, voire de montrer des photos. Même si elles savaient que cela pouvait faire perdre des points sur le marché de la séduction, c'était plus fort qu'elles. Elle lui donna des éléments de réponse sur ses interrogations des derniers jours : elle avait participé à ce speed dating pour donner un avis de professionnel à une amie journaliste qui faisait un reportage sur les rencontres express. Elle était en plein divorce. Tout n'était pas fait car le mari était reparti au Japon et cela compliquait les choses quant à la garde de Naomi. Même si elle ne rentrait pas dans le schéma de la divorcée qui veut refaire sa vie à tout prix ou celui de la libertine, il fut rasséréné. Elle restait une proie potentielle, un défi plus intéressant d'ailleurs qu'une femme réellement ouverte à une liaison. Elle était venue avec un masque elle aussi, mais elle n'avait pas reconnu son déguisement à lui et avait cherché à retrouver le vieux pote d'autrefois. Une psy pourrait-elle se soumettre à un cynique ? Un défi, rien de tel pour bousculer ses habitudes. Il avait un doute néanmoins. Elle n'était pas sortie de son histoire d'amour, donc elle ne voudrait pas s'engager, certes, mais elle serait à fleur de peau, donc facile à blesser. Et il était touché par son aura, sa présence, son courage, il ne voulait pas lui faire de mal. Il se prit à imaginer quelque chose sur le long terme, de l'ordre de l'apprivoisement. Tiendrait-il si longtemps ? Cette perspective était excitante. Il se sentait bien. Elle était gourmande, il le vit, et imagina aussitôt combien elle devait l'être sur d'autres plans. Il était à la fois dans l'instant et dans la perspective de bons moments ultérieurs. Elle rompit le charme en lui disant qu'il était tard. Il régla la note en réclamant un autre rendez-vous, un sourire irrésistible sur les lèvres. Elle répondit en riant qu'il fallait que ce soit la semaine suivante car plus tard elle ne savait pas si elle était libre sans son agenda. Il avait déjà cerné ses goûts et en l'aidant à enfiler son gilet, il lui fit une proposition alléchante. Elle accepta et ils sortirent du restaurant. 

La nuit était étoilée, romantique à souhait. Elle lui désigna le trottoir opposé, expliquant qu'elle était garée plus loin. Elle refusa qu'il l'accompagne. Il la suivit des yeux tandis qu'elle traversait la rue au loin en agitant la main. Elle ne vit pas qu'une voiture avait fait un écart pour éviter un cycliste tombé sur la chaussée. Son corps monta vers le ciel étoilé dans un crissement de pneus.
Il se précipita : il apercevait une grande tache rouge, c'était forcément son gilet d'angora. Mais en s'approchant, il vit combien la tache était large.

Il tomba à genoux, foudroyé. C'était son cœur qui avait été renversé par une voiture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Élise Oudin - 2009


 

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commentaires

G
Je trouve ça super bien écrit, je te savais douée, mais j'ignorais que c'était à ce point.
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